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Bible
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Personnages
Brèves rencontres Vies minuscules de la Bible
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Brèves rencontres : vies minuscules de la Bible Recension Commencer Recension du livre de Philippe Lefebvre : "Brèves rencontres : vies minuscules de la Bible", par Gérard Billon.
Philippe Lefebvre Clin d’oeil au recueil de Pierre Michon (Vies minuscules, 1984), cet ouvrage est dû à Philippe Lefebvre (P.L.), professeur d’Ancien Testament à Fribourg. En quatre études parues dans diverses revues et remaniées pour l’occasion, il s’arrête sur des personnages évoqués en quelques versets : Melchisédeq (Gn 14,18-20), Ritspah (concubine de Saül, 2 S 21,10-11), la prophétesse Anne (Lc 2,36-38) et un dernier, plus étrange, le serpent Python (Ac 16,16-18). Le résultat est surprenant, parfois déroutant. Contrairement aux nouvelles de Michon, ces personnages ne sont pas des inconnus et le ton n’est pas autobiographique. Mais il est personnel, P.L. n’hésitant pas à dire « je », osant des rapprochements de vocabulaire et de situations à travers les Écritures et forgeant des significations nouvelles. Ses lecteurs habituels ne seront pas étonnés, les autres s’initieront vite à sa lecture en parcourant l’introduction (pp. 6-35) où il est question de l’évangile dans l’histoire de David, de la mission de Joseph, de la paternité de Dieu, le tout à partir de personnages dits « secondaires » dont la définition est ici moins littéraire que théologique (« Ce qui n’est rien dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi... » [1 Co 1,28]. La conclusion, pleine d’empathie pour la veuve pauvre et généreuse (Mc 12,41-44), rejoint de ce point de vue l’étude de Vianney Bouyer (« Les anonymes de l’Évangile », Cahiers Évangile n° 160, 2012, pp. 6-13). Arrêtons-nous sur le premier chapitre qui affronte une triple énigme : l’arrivée abrupte de Melchisédeq dans un récit qui concerne Abraham et le roi de Sodome, le décryptage de son nom (« roi de justice »), sa double identité de roi et de prêtre. P.L. a lu les analyses rédactionnelles qui y voient une insertion tardive mais, avec juste raison, il s’intéresse surtout au « brouillage » narratif ainsi produit : « Les anomalies du texte sont nécessaires pour dire à la fois l’expérience concrète, située dans l’espace et le temps, et la perception d’une réalité d’un autre ordre » (p. 95). Quelle réalité ? L’enquête, enrichie de la thématique du pain et du vin offerts à Abraham, explore de multiples directions avant de se concentrer sur la notion de « pictogramme théologique » (pp. 100-101) – notion hélas peu reprise dans la suite de l’ouvrage. Si l’on a bien compris, il s’agit, en Genèse 14, d’un entrecroisement de plusieurs « trajectoires de sens » en l’occurrence « la malédiction et la bénédiction, le monde agité et la rencontre sereine, la vision d’un autre quand on regarde quelqu’un… » (p. 102). Sensible aux échos intra et intertextuels, la lecture de P.L. peut être qualifiée de « figurative », voire de « canonique ». La chose est encore plus flagrante dans le deuxième chapitre où P.L. s’arrête sur l’émouvant passage où Ritspah veille ses fils morts. Nous voyageons dans les livres de Samuel, mais aussi dans la Genèse et en Jean 19,13 par le seul fait du vocabulaire (le rocher sur lequel se tient la mère éplorée, en grec lithostrôton, est rapproché du lieu du jugement de Jésus par Pilate). En même temps, P.L. relie Ritspah à Rachel et à Anne, la mère de Samuel. On retrouve Anne dans le troisième chapitre, consacré à une autre Anne (la prophétesse de Luc 2), avec Myriam, Marie, Sara, Élisabeth, Léa, Zilpa : « Chacune manifeste un rapport spécifique à l’Esprit et à la parole » (p. 163) : par l’énumération, un sentiment de vertige saisit le lecteur ! Enfin le quatrième chapitre, examinant la scène où Paul chasse le serpent Python (Ac 16,16-18), convoque les reptiles bibliques, depuis ceux de Genèse 3 et Nombres 21 jusqu’à la vipère d’Actes 28 (au passage, belles remarques sur le contraste entre la pythonisse et Lydie) – mais pas le dragon d’Apocalypse 12 alors que le mythe chtonien et cosmique est, pour certains, en filigrane. Sur bien des points, P.L. fait mouche. À défaut de toujours convaincre, ses études interrogent et donnent envie « d’y aller voir ». Avec leur enthousiasme, leurs limites et surtout leur engagement critique et spirituel, elles font déjà référence. Recension parue dans le Cahier Évangile n° 177(septembre 2016), « La Loi dans l’Évangile de Matthieu », p. 76.
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